Un cauchemar réel (1)

L’actuelle majorité politique brainoise se gargarise volontiers de mots. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Braine Notre Ville, le bulletin communal officiel. Selon cette prose dithyrambique et égocentrée, tout va en effet pour le mieux dans le meilleur des mondes. Autosatisfaction à tous les étages. Á en croire cette rhétorique, la gestion de la commune n’aurait en effet jamais été aussi saine ni exemplaire depuis des lustres. Nulle trace de doute ni de critique dans le chef de nos élus, encore moins d’autocritique. Se décerner à soi-même un prix d’excellence : on n’a encore rien inventé de mieux pour se pousser du col.

Á regarder les choses de plus près, il est toutefois permis de relativiser ce tableau idyllique. Prenons par exemple la manière dont sont gérées et entretenues certaines infrastructures publiques telles que routes, sentiers, voiries, fossés, berges, talus ou accotements. Pas un épisode orageux – quatre en l’espace d’un mois, qui dit mieux? – sans que les habitants de plusieurs quartiers du centre-ville ou des villages avoisinants se retrouvent les pieds dans l’eau, quand ce n’est pas dans la gadoue. A qui la faute?

Certes, nos élus ne sont pas directement responsables du dérèglement climatique ni de ses effets dévastateurs. Pas plus qu’ils ne peuvent être tenus pour responsables des erreurs et manquements imputables à leurs prédécesseurs. Á force de vivre au-dessus de ses moyens et de consentir des dépenses somptuaires, on finit inévitablement par se mettre un jour dans le rouge. D’où la drastique mise sous tutelle régionale que nous con-naissons depuis 2016 ; et, par voie de conséquence, l’absence chronique de moyens devant servir à financer les autres services communaux. Faut-il s’en étonner?

Apparemment la leçon n’a pas servi puisque l’actuelle majorité s’est à son tour lancée dans une politique d’urbanisation galopante, avec comme conséquence une imperméabilisation accrue et durable des sols. On nous rétorquera que ce bétonnage à marche forcée correspond en tous points aux directives de densification urbaine prônée par la Région Wallonne. Sans doute. Encore que ces recommandations soient infiniment plus nuancées ; il y est aussi beaucoup question de mesures préventives destinées à lutter contre l’érosion des sols et les risques d’inondations (notamment par la plantation de haies, fascines, bandes boisées ou boqueteaux), à ce jour restées lettre morte. Mais de mauvais esprits ne pourront toutefois s’empêcher de voir dans cette fièvre urbanistique une tentation plus prosaïque. Sachant qu’un bourgmestre et des échevins perçoivent une rémunération dont le montant est calculé au prorata du nombre d’habitants, pourquoi les intéressés se priveraient-ils d’étendre le parc immobilier? D’autant que la pression immobilière se fait elle-même plus agressive ces derniers mois. Sans aucun doute un effet pervers de la pandémie : désormais tout le monde veut sa parcelle de jardin, fût-ce au prix d’un mitage irréversible du paysage et, à terme, d’une mise en danger de chacun. Car, pendant ce temps, routes et voiries communales se trouvent, elles, dans un état de délabrement et d’insécurité rarement atteint. Cherchez l’erreur…

Faut-il rappeler que l’entrée en vigueur du dernier plan de secteur communal date du début des années… 80: autrement dit, et sans mauvais jeu de mots, du Déluge? Á cette époque, personne ou presque ne se préoccupait en effet sérieusement de questions climatiques ou environnementales, ni des nouveaux paramètres que celles-ci induisent. Si bien que ce document canonique n’a jamais fait l’objet d’aucun ajustement ou amendement depuis son adoption initiale. Malgré les dangers potentiels que représente cette politique urbanistique à courte vue, on a donc continué à bâtir et à bétonner comme si de rien n’était, y compris en zone inondable. On en voit aujourd’hui le résultat. Pas une averse orageuse qui ne génère de manière récurrente le même scénario-catastrophe: torrents de boues dus à l’absence chronique de fossés, avaloirs insuffisants, curage de caniveaux inexistants, routes impraticables (et, dans la plupart des cas, fermées à la circulation), entretien des voiries calamiteux et dangereux (nids-de-poule, ornières, accotements instables, fauchages tardifs avec leurs dangers concomitants en termes de visibilité routière et d’incitation aux dépôts sauvages d’immondices)… N’en jetez plus, la coupe est pleine. Et qu’on ne vienne pas nous enfumer avec l’alibi écologique facile des coquelicots censés embellir talus hirsutes et massifs d’orties!(2)

« Le pire des cauchemars, c’est quand le cauchemar n’est pas un cauchemar. Quand il est réel. Quand on ne peut pas s’en réveiller. Un cauchemar sans réveil, sans après.
Car d’un cauchemar, quand il devient trop intense, trop cauchemardesque, eh bien on se réveille. Mais d’un cauchemar réel, on ne se réveille pas. » (3)

Henri Raczymow

Faut-il se résoudre à cette situation de crise et la considérer comme une fatalité? S’entêter dans cet aveuglement irresponsable? Persister dans l’incapacité à changer de paradigme? Nous ne le pensons pas. Nous estimons au contraire qu’administrer c’est prévoir. Et qu’est-ce que prévoir, sinon commencer par tirer les enseignements des expériences passées pour s’adapter ensuite avec réactivité aux changements d’où qu’ils proviennent? Hélas, nos édiles semblent les derniers à s’être aperçus de ces impératifs. Ne serait-ce que par simple principe de précaution, nous exigeons donc l’arrêt immédiat de cette politique d’urbanisation intensive, la suspension de tout nouveau projet de lotissement et la reconversion des espaces précédemment qualifiés de zones « à bâtir » en zones agricoles ou d’intérêt paysager.

Certaines fuites en avant apparaissent aujourd’hui clairement pour ce qu’elle sont: à savoir d’authentiques marches arrière. Comme l’indiquait António Guterres, secrétaire général des Nations-Unies,

« Le changement climatique court plus vite que nous (…) et ce pourrait être une tragédie pour la planète. La volonté politique est absente (…) alors que le changement climatique est le problème le plus important auquel l’humanité est confrontée. L’évolution est pire que prévue (…) et il est donc absolument indispensable d’inverser la tendance. »(4)

António Guterres, secrétaire général des Nations-Unies

Répétons-le donc avec force. Assez de bétonnage intempestif! Assez de désinformation! Assez de bilans auto-satisfaits! Assez de rodomontades! Assez de propagande partisane! Nous exigeons des actes, ici et maintenant. Il y va de notre avenir à tous, de notre bien-être et de celui de nos enfants.

Marc Vanhove

(1) Ce texte a été rédigé fin juin 2021, quelques jours à peine avant que ne surviennent les inondations catastrophiques du bassin liégeois. Loin d’infirmer le caractère alarmiste de ce cette mise en garde, celles-ci en ont au contraire confirmé toute la pertinence.

(2) Il viendra un moment où les compagnies d’assurances, lassées de voir certaines administrations communales se défausser de leurs responsabilités en termes de prévention – et contraintes, de ce fait-là, de devoir indemniser sans relâche les habitants victimes de dommages dus aux inondations –, se verront dans l’obligation de réviser leurs contrats et primes à la hausse. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qui en supportera les conséquences financières.

(3) Henri Raczymow, Reliques, Paris, Gallimard, Collection Haute Enfance, 2005.